mardi 5 juin 2012

Changement de cap

La chance peut tourner, a affirmé Bredero. Elle tourne souvent dans le mauvais sens, mais le changement peut aussi être positif.


Quel pays peut se targuer d’être le deuxième plus beau pays du monde à voir (après l’Italie) mais le deuxième pays le plus abominable pour y vivre (après la Corée du Nord) ? Une dictature militaire, où le travail forcé est légion, où l’on peut croupir des années en prison pour avoir osé dénoncer une malversation …

Et soudain, du jour au lendemain, ce pays met en place des élections et un gouvernement dirigé par un général qui retire ses galons. The Lady peut quitter sa résidence et gagner des élections (intermédiaires). Le président-général décrète (le 1er mai !) que l’objectif premier du pays est d’offrir un emploi convenable à tous et que c’en est fini de permettre impunément le travail forcé. Une nouvelle loi autorise les syndicats. Luc Cortebeeck se rend dans le pays et rencontre le président, le premier ministre et les généraux d’un côté, et The Lady et les syndicalistes de l’autre. Jamais un pays n’a mué aussi rapidement.

Dernière illustration en date : la Conférence internationale du Travail, Genève, le samedi 2 juin. Depuis 2000, la Commission des Normes du Travail organise le premier samedi de juin une séance spéciale consacrée au travail forcé dans ce pays. Année après année, les syndicats, les employeurs et les gouvernements y dénoncent les pratiques sinistres en cours dans le pays. Sans la moindre réaction de la part du ministre du travail ou de l’ambassadeur du pays.

Jusqu’à cette année. L’ambassadeur a déclaré samedi : ‘Nous nous sommes trompés ces dernières années. Nous ouvrons une nouvelle ère. C’en est fini du travail forcé. Nous avons changé la législation. Nous avons averti toutes les autorités militaires et civiles que si elles ne changeaient pas, les sanctions tomberaient. Ceux qui nous signalent des malversations ne seront plus intimidés ou molestés. Nous avons libéré des syndicalistes et des opposants politiques. Dans le passé, nous avons parfois qualifié les leaders syndicaux en exil de terroristes, mais c’était hier. Aujourd’hui, ces messieurs sont les bienvenus au pays. Et, cerise sur le gâteau , nous venons de décider d’un plan d’action de grande envergure avec le Bureau international du Travail pour éliminer ensemble toute forme de travail forcé d’ici 2015 !’

Dans trois ans seulement ? Oui, parce que même si le travail forcé a diminué, il reste largement répandu dans tout le pays. Des militaires continuent à forcer des villageois et leurs enfants à porter leur barda, à construire des digues ou à réparer des routes. Les autorités militaires et civiles confisquent les terres d’agriculteurs pour des projets de construction. Lorsqu’ils sont pris, les auteurs s’en tirent avec des amendes ou des sanctions disciplinaires et se retrouvent rarement en prison. Seule exception, depuis peu, l’incorporation d’enfants soldats. La nouvelle Constitution, qui date de 2008, prévoit toujours que ‘le travail peut être imposé par l’Etat dans l’intérêt du peuple’, un passe-partout pour le travail forcé.

Ces changements rapides doivent donc être suivis de près. Sans oublier qu’un pays qui ouvre ses portes aussi rapidement donne l’eau à la bouche au reste du monde. Chacun tente de saisir les opportunités qui s’offrent, à commencer par les multinationales et les fonds d’investissement.

Le pays représente tout d’abord un grand marché de 60 millions d’habitants, où les produits occidentaux sont absents depuis des décennies. Beaucoup ne se sont jamais assis dans une voiture, ne connaissent ni les centres commerciaux ni la téléphonie mobile. Bref, un eldorado pour de grandes marques comme Apple, Nike, Coca Cola et Toyota.

D’autre part, le pays regorge de matières premières telles que le pétrole, le gaz et des minéraux rares. Son potentiel touristique est lui aussi énorme : des paysages vierges, des milliers de temple. Il présente également un formidable intérêt économique, à la frontière entre les deux plus grands marchés émergents du moment. Ce pays sera le prochain paradis de la croissance.

Il dispose pour cela d’un atout puissant : des salaires nettement inférieurs à ceux de la Chine, de la Thaïlande et même du Vietnam. Les coûts salariaux n’y représentent que 22% de ceux de la Chine, 24% de la Thaïlande et 55% du Vietnam. Deux tiers de la population ont moins de 35 ans. ‘Ce n’est pas comme chez nous, où les jeunes ne veulent plus travailler. C’est là que se trouvent les travailleurs du futur.’, soupirait un employeur japonais à Genève.

La ruée vers l’or semble bel et bien lancée. Des fonds étrangers affluent vers un pays sans cadre légal d’investissement et surtout sans conditions de travail correctes. Après le travail forcé, une autre forme de contrainte ? Nous devons en tout cas suivre de près toutes ces évolutions.

De quel pays parlons-nous ? De la Birmanie, naturellement. Ou du Myanmar, officiellement. La morale de l’histoire : avec l’OIT, la chance peut bel et bien tourner.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire