lundi 4 juin 2012

Vers un socle mondial de sécurité sociale ?

Un des sujets à l’ordre du jour de la Conférence est l’élaboration d’une « Recommandation concernant les socles nationaux de protection sociale ».

Non, il ne s’agit pas de la création d’un système de sécurité sociale mondial, dans le cadre duquel l’argent des pays riches servirait à financer les allocations dans les pays pauvres. Le texte en projet souligne au contraire que la création et la gestion des régimes de sécurité sociale est de la responsabilité de chaque pays, et les pays potentiellement bénéficiaires d’une aide sont les premiers à tenir à ce principe. Ceci dit, le texte n’exclut nullement la coopération internationale, que ce soit dans l’expertise technique ou dans le financement.

L’ambition du texte est en un sens plus modeste, mais en fait également plus grande.

L’OIT a eu pour vocation de s’occuper de sécurité sociale dès sa création, en 1919. Si la Convention n° 1 de l’OIT concernait la durée du travail, la n°2 concernait le chômage. Mais l’OIT a vite compris que le droit social est inséparable de son substrat économique, et c’est bel et bien la pensée économique qu’elle a l’ambition d’influencer. Et la protection sociale est un élément essentiel d’une économie juste et durable.

Les textes de l’OIT se situent dans le prolongement de normes internationales de droits de l’homme, auxquels ils s’attachent à donner un contenu concret. En matière de sécurité sociale, il faut bien dire que la plupart de ces textes portent la marque des débats économiques et sociaux au sein des pays occidentaux entre les années 1930 et le début des années 1960. Par exemple, dans la logique des droits de l’homme, la protection sociale devrait être universelle (concerner tout le monde, quel que soit son statut professionnel). Les textes de l’OIT sont moins ambitieux. Ils imposent la couverture d’une proportion déterminée de la population, tout en envisageant son extension progressive. C’est bien la façon dont cela s’est passé dans un pays comme la Belgique. La sécurité sociale s’est constituée au départ au profit d’un groupe social déterminé (les travailleurs salariés, avec d’ailleurs diverses conditions et restrictions) ; mais elle a été complétée au fil du temps, pour aujourd’hui couvrir l’ensemble de la population.

Ce processus ne s’est pas poursuivi dans tous les pays. En fait, dans la majorité des pays du monde, la sécurité sociale, lorsqu’elle existe, est souvent restée limitée à une minorité de travailleurs d’un secteur formel correspondant peu ou prou au secteur public. Il est vrai que la plupart de ces pays n’étaient même pas indépendants au moment où les textes de l’OIT ont été élaborés, et que les systèmes qui étaient en train de se développer dans les métropoles n’étaient pas nécessairement étendus aux colonies….

Depuis quelques années, plusieurs pays ont revisité à leur manière les valeurs de solidarité, les adaptant à leur histoire, leurs besoins et leur contexte économique. On cite le plus souvent, à ce sujet, l’Amérique latine, mais aussi certains pays d’Asie et d’Afrique. Il est d’ailleurs frappant de constater que ces pays, tout en portant fièrement la spécificité de leurs réalisations, tiennent à les situer dans le cadre de ces valeurs universelles, et même dans le cadre de Conventions OIT de plus d’un demi-siècle, que les pays Européens, par exemple, tendent à considérer comme dépassées.

Lors de la Conférence de 2011, un assez large consensus s’était dégagé sur l’idée d’exploiter la « fenêtre d’opportunité » que constitue ce que certains vieux routiers du BIT n’hésitent pas à appeler une « révolution silencieuse », pour mettre à jour le corpus de l’OIT.

L’idée n’est pas d’élaborer une Convention sur un schéma unique, avec des prescriptions trop techniques, mais une Recommandation qui rappellerait les principes et les valeurs. Il ne s’agit pas d’un instrument juridiquement contraignant, mais d’un cadre de référence, qui pourrait être opposé par exemple à une vision strictement financière de l’économie.

A l’heure où j’écris ces lignes, les travaux de la Commission ont à peine commencé. Les quelques impressions qui suivent demandent encore à être confirmées. Mais voilà, jusqu’à présent ces impressions sont encourageantes. D’une part, le consensus constaté dans une atmosphère un peu euphorique en 2011, ne s’est pas démenti. Les employeurs comme les gouvernements jouent le jeu et participent de façon constructive aux débats. Deuxièmement, l’Union européenne joue dans les débats un rôle digne d’elle, de son histoire et de son expérience du sujet ; même si, d’après ce qui s’en dit, les débats au sein des délégations gouvernementales sont parfois vifs, c’est un contraste réjouissant avec ce qui s’est passé en 2011. Et enfin, il est vraiment émouvant de voir l’Amérique latine (ses représentants gouvernementaux comme ses syndicalistes) se profiler comme un des grands porte-drapeaux du processus. Certains pays d’Asie, comme l’Inde ou la Corée, pourraient peut-être prétendre aussi à ce rôle, mais bon, c’est comme ça que ça se passe dans des assemblées de ce genre : le représentant isolé d’un pays d’un milliard d’habitants développe moins de panache que les représentant unis de sept ou huit pays moins peuplés, mais partageant un même élan.

(à suivre)

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