vendredi 1 juin 2012

Discours de Marc Leemans sur l'action normative de l'OIT

Voici le premier discours prononcé hier (31/05) par Marc Leemans sur l'action normative de l'OIT. Un discours important qui a été apprécié tant par le groupe des travailleurs que par le BIT.

"Au nom des travailleurs de la commission de l’application des normes, je souhaiterais exprimer quelques considérations sur la question de l’amélioration des activités normatives de l’OIT. Je souhaite aussi m’exprimer sur les balises actuelles et futures de notre approche d’une politique normative de l’OIT, pour plus de justice sociale.
Par « justice sociale » j’entends celle qui, dans un monde confronté à des défis immenses, replace le travailleur au centre des préoccupations. Et, je vise ici non seulement les défis économiques, politiques, climatiques mais aussi les défis liés à la nécessité urgente de penser à un monde durable.
Par politique normative, j’entends parler des mécanismes d’élaboration des normes et des mécanismes de contrôle des normes. Mon intervention comptera ainsi deux points.

Premier point :

Nous restons bien évidemment convaincus de l’idée que de nouvelles normes doivent pouvoir être adoptées pour faire face à de nouveaux défis en matière de qualité du travail et de couverture sociale la plus adéquate possible des travailleurs.

Répondre utilement aux défis du développement durable peut exiger non seulement une révision de certaines normes ou leur coordination mais encore exiger de penser à de nouveaux standards contraignants, en matière de couverture de risques nouveaux pour la santé, la sécurité, en vue de lutter contre la pauvreté ou pour garantir la qualité du travail…

Nous restons tout aussi convaincus que sans les mécanismes de contrôle de leur application , les normes adoptées courent le danger de rester lettre morte.

Le système de contrôle prévu dans la constitution de l’OIT est dépourvu de mécanismes de sanctions pénales ou financières à l’encontre des états. Il n’est donc efficace que par le biais des mécanismes de contrôle, réguliers et spéciaux.

Ceux-ci doivent être mieux connus, mieux compris et mieux appliqués car ils sont fondamentalement bons. Ils le seraient encore plus si la constitution de l’OIT était sur ce point mieux exploitée.

Le rôle de la commission d’experts est fondamental. Son travail est un outil essentiel et permanent pour une meilleure application des normes internationales par les gouvernements.

Ce rôle consiste à préparer dans des conditions incontestables de rigueur scientifique, d’indépendance et d’objectivité, le travail qui sera assumé par notre commission en vue de s’assurer de la correcte application des normes en droit et en pratique.

Il est aussi de nouer un dialogue avec les gouvernements à travers les demandes directes.

Il a enfin une valeur pédagogique tant à travers les études d’ensemble que par la désignation des cas de progrès. Les organisations d’employeurs et de travailleurs peuvent sur base du rapport de la commission des experts trouver des éléments juridiques et pratiques pour faire avancer l’application des normes de l’OIT.

Le travail de notre commission et l’examen par elle des cas individuels est un autre aspect fondamental du mécanisme de contrôle.

Il s’appuie sur le travail des experts mais en outre, l’examen tripartite des cas individuels confère aux activités de notre commission, une autorité exemplaire.

Grâce à cette analyse collective tripartite des cas individuels, notre commission, par le biais des conclusions qu’elle adopte, fait clairement pression sur les états soit simplement défaillants soit totalement réfractaires.

Un autre aspect majeur de la procédure de contrôle de l’application des normes repose sur une bonne collaboration des gouvernements aux procédures de reporting fixées dans la constitution de l’OIT. Nous pensons que ce travail de reporting doit faire l’objet d’une meilleure appropriation par toutes les parties prenantes.

Mais il existe des obstacles à ce travail : j’en évoque ici trois et j’essaie d’ébaucher des pistes de solution pragmatiques :

• A) le travail de reporting est assez lourd, c’est vrai !.

o Mais plus il sera partagé avec les partenaires sociaux dans le cadre, par exemple, de commissions nationales tripartites régulières fondées sur la C 144, plus il sera supportable et plus il gagnera en qualité. Il sera alors fondé sur la conviction partagée de participer à un travail indispensable pour le progrès des valeurs démocratiques.

• B) Les obligations de reporting sont multiples et ne se limitent pas à celles liées aux activités de l’OIT.

o des coordinations s’avèrent souhaitables entre les institutions, pour éviter les redondances dans les obligations à assumer : est - il pensable que le BIT s’emploie à une cartographie des mécanismes redondants ?

• C) De nombreux états membres de l’OIT font désormais partie d’organismes régionaux à vocation non seulement économique mais clairement juridique et législative. Je pense ici à l’Union Européenne. Des valeurs fondamentales y sont largement partagées avec l’OIT .

o Il faudrait pouvoir introduire à ce niveau non seulement plus de cohérence dans le contrôle des obligations de portée commune mais encore une collaboration institutionnelle structurée entre les dialogues sociaux tripartites qui s’y déroulent.

Sur les procédures de contrôle dites spéciales, laissez- moi seulement dire qu’une meilleure utilisation des procédures contentieuses prévues dans la constitution de l’OIT devrait permettre aux experts de se concentrer davantage sur leur travail pédagogique et d’analyse des pratiques de mise en œuvre effective des instruments normatifs.

La correcte application des normes passe par des outils qui misent sur la compréhension et l’appropriation des concepts et conditions propres aux instruments à appliquer. Dès lors tous les moyens liés à l’élargissement de l’assistance et de la coopération techniques offertes par le BIT et ceux liés à la présence du BIT dans des zones à risques, doivent être soutenus y compris financièrement et valorisés au mieux.

Second point :

Une politique normative efficiente se doit d’être moderne et innovante pour répondre adéquatement et avec pertinence aux défis auxquels les travailleurs sont aujourd’hui confrontés, en ces temps de crise économique et de politiques d’austérité.

Si une telle politique ne doit pas être fondée sur la nostalgie des temps passés, elle doit cependant être basée sur le respect des luttes et des acquis engrangés au fil du temps .Une certaine neutralité s’impose dans la balance politique entre « simplifier » et « respecter ».

Etre moderne et innovant ne signifie pas faire du passé table rase …Je veux ici souligner que les enseignements du passé restent précieux et riches en contenu dès lors que les réalités quotidiennes démontrent que l’objectif fondamental des normes de l’OIT est inchangé.

Au XXI ème siècle, les atteintes contre les droits des travailleurs n’ont pas fondamentalement changé de nature et les crises financière et économique récentes démontrent la persistance, si pas l’accroissement, des menaces contre les travailleurs, que la constitution de l’OIT, les normes et la déclaration de Philadelphie ont entendu juguler.

Le souci de répondre avec efficacité à la mondialisation déséquilibrée et aux inégalités qui en ont découlé est toujours bel et bien présent au XXI éme siècle et à ce titre, une correcte application des normes axées sur leur efficacité de terrain, reste un défi actuel et majeur.

Laissez- moi insister sur le fait que pour notre groupe, une approche moderne des normes ne peut être fondée sur une recherche de simplification pour la seule simplification, sans tenir compte des acquis sociaux conquis de haute lutte.

La politique normative de l’OIT ne pourrait pas non plus, être remplacée par des lignes directrices relevant de la seule notion de responsabilité sociale des entreprises ou guidée par le seul souci de la compétitivité.

Notre groupe des travailleurs entend souligner les principes suivants à acter au procès - verbal de notre commission.

Il faut :

1) s’assurer que les normes de l’OIT apportent aux travailleurs une protection efficace aujourd’hui et demain, sur leurs lieux de travail ;

2) s’assurer que dans le futur, la nécessité impérieuse d’investir dans des entreprises durables sera prise en compte par tous, entreprises, gouvernements et travailleurs ;

3) s’assurer que face aux changements indéniables qui affectent le monde, le corpus des normes internationales restera capable de répondre aux besoins actuels tout en présentant un caractère suffisamment flexible pour en garantir l’efficacité dans la pratique des états membres;

4) renforcer la conviction que les normes et les mécanismes de contrôle sont utiles et agir pour accroître le nombre de ratifications et améliorer la mise en œuvre des normes ratifiées.

5) redire haut et fort que l’activité normative de l’OIT reste pertinente pour affronter les défis du futur au profit des travailleurs et des entreprises ;

6) redire que la constitution de l’OIT ainsi que les déclarations plus politiques que sont la déclaration de 2008,l’agenda sur le travail décent et la déclaration de 1998 relative aux principes et aux droits fondamentaux au travail, demeurent des grilles de lecture valides au XXIème siècle.

Je vous remercie de votre attention et espère que cette intervention très volontariste de notre part aidera les travaux."

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