vendredi 8 juin 2012

La colère des pays du Sud


“Extremely worrying” ! Cette mise en garde a été lancée par Juan Somavia, le directeur général de l’OIT, lors de l’ouverture de la Conférence internationale du Travail la semaine dernière.  Et il ne parlait pas du Swaziland, de la Colombie ou de la Biélorussie. Non, il parlait de l’Europe, et de la manière dont elle bafoue aujourd’hui les valeurs dont elle a été la pionnière. Marc Leemans s’est également exprimé dans ce sens ce matin dans son discours devant l’assemblée plénière de la Conférence. Ce midi, des propos similaires ont été tenus lors d’une table ronde organisée en marge de la Conférence par le groupe des travailleurs, sous la direction de Luc Cortebeeck, président du groupe des travailleurs ici à Genève. 

L’Europe est méconnaissable,  a affirmé Luc Cortebeeck dans son introduction. L’Europe a longtemps été le phare du monde. Les gouvernements et les partenaires sociaux du monde entier s’inspiraient du modèle social européen, de la manière dont l’Europe réussissait à associer progrès économique et avancées sociales. Aujourd’hui, le monde fronce les sourcils quand il voit de quelle manière l’Europe est en conflit avec elle-même.  Il s’inquiète quand il voit comment, sous le couvert de la gouvernance économique et de la discipline budgétaire, les pays européens remettent en question la liberté syndicale, et notamment le droit de grève, le droit aux négociations collectives libres,  la sécurité sociale et la protection du travail, parfois sous la contrainte ou les recommandations de la Commission européenne. Il n’est pas normal, a ajouté Luc Cortebeeck, que nous devions traiter ici de plus en plus de plaintes concernant des pays européens, en particulier pour des infractions relatives aux Conventions 87 et 98 de l’OIT. En même temps, ces plaintes prouvent l’importance du rôle de l’OIT en tant que protecteur des droits fondamentaux des travailleurs et gardien de la dimension sociale de la mondialisation.  

Nous avons ensuite entendu des témoignages des syndicats de Grèce et d’Espagne, deux des pays les plus touchés.  Zoe Lanara-Tzotze du syndicat grec GSEE , Candido Mendez du syndicat espagnol UGT et Ignacio Toxo du syndicat espagnol  CC.OO ont ainsi pris la parole. Ils avaient peu d’éléments  neufs à apporter, du moins pour ceux qui sont un peu au courant des plans draconiens d’austérité et de réforme mis en place dans les pays du sud de l’Europe. Ils ont surtout fait part de leur déception et de leur indignation. Sur les coupes sombres dans les salaires minimums en Grèce. Sur la remise en cause des conventions collectives. Sur la manière dont deux accords importants conclus par les partenaires sociaux espagnols ont été balayés du revers de la main par les autorités espagnoles car ils n’étaient pas conformes à la doctrine de Merkel. Sur le chômage des jeunes qui atteint des niveaux astronomiques : 52% des jeunes espagnols sont sans emploi! Sur la manière dont les charlatans européens poussent ces deux pays plus loin encore vers le naufrage. Sur la manière dont l’état d’urgence économique est décrété, mettant ainsi la démocratie entre parenthèses, par la volonté des marchés financiers. A ces sentiments s’ajoute aujourd’hui une grande indignation par rapport à l’attitude des employeurs au sein de la Commission pour l’Application des Normes, qui permet aussi aux pays européens de s’en sortir à bon compte ici à Genève. Pour toutes ces raisons, nos collègues ressentent surtout de la colère, de la frustration, de l’impuissance, qu’ils ont tenu à exprimer devant nous.  

Face à nos collègues du Sud, les organisateurs avaient placé Sud Wolfgang Luterbach , secrétaire international de la confédération syndicale allemande DGB.  Le DGB consacre actuellement l’essentiel de son temps à démonter le mythe du miracle allemand. Luterbach s’est aussi exprimé dans ce sens. 7,7 millions de travailleurs allemands occupent de petits jobs précaires, soit un quart des travailleurs. Parmi les contrats qui sont offerts actuellement, un sur deux est un contrat temporaire. Les jeunes n’ont pratiquement plus  de sécurité d’emploi. Comment créer et entretenir une famille dans de telles circonstances ? Bref, les travailleurs allemands sont aussi les victimes de la politique d’austérité. Ils mènent les mêmes combats que les syndicats espagnols et grecs. Ils se battent contre la précarisation, contre la dislocation de l’Etat providence et contre les attaques portées aux libertés syndicales. De tels propos ont été appréciés, ici à Genève.

Heureusement, Bernadette Ségol, la secrétaire générale de la Confédération syndicale européenne (CES) nous a mis un peu de baume au cœur. Elle venait de quitter le Comité exécutif de la CES, qui avait donné à l’unanimité son approbation à une alternative européenne face à la pagaille à laquelle nous faisons face : le ‘nouveau contrat pour l’Europe’ (http://www.etuc.org/a/10027).  Il ne faut pas être un expert, a affirmé B. Ségol, pour voir que les recettes actuelles ne fonctionnement pas. La politique menée est plus idéologique que réfléchie. Les réformes du marché du travail en Grèce et en Espagne ont eu pour seul effet de faire exploser le chômage. Certains gouvernements commencent à ouvrir les yeux, avec pour conséquence qu’ils veulent maintenant manger à tous les râteliers : investir en faveur de la croissance tout en poursuivant une politique d’austérité stricte. Le contrat social est une réponse à ce double défi. L’unité de vision des syndicats européens est un premier pas dans la bonne direction. Il reste maintenant à développer une stratégie unique. 

Nous menons aujourd’hui une labour war (guerre du travail), a conclu Sharan Burrow, la secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI). La ‘grève’ des employeurs  au sein de la Commission pour l’Application des Normes, qui n’a même pas permis de traiter les pires violations des droits des travailleurs dans le monde, en est une illustration. ‘Qu’est-ce cela pour des gens ?’, s’est-elle écriée avec  colère. Nous avons le droit d’être furieux. Les Etats ont inconditionnellement versé des sommes colossales aux banques, qui s’en servent pour spéculer aujourd’hui  à l’échelle mondiale. Y compris contre les Etats nationaux, les forçant à réduire le droits des travailleurs. Nous avons le droit d’être entendus, a conclu Burrow, lançant ainsi un avertissement au prochain G20. 

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