“Extremely
worrying” ! Cette mise en garde a été lancée par Juan Somavia, le
directeur général de l’OIT, lors de l’ouverture de la Conférence internationale
du Travail la semaine dernière. Et il ne
parlait pas du Swaziland, de la Colombie ou de la Biélorussie. Non, il parlait
de l’Europe, et de la manière dont elle bafoue aujourd’hui les valeurs dont
elle a été la pionnière. Marc Leemans s’est également exprimé dans ce sens ce
matin dans son discours devant l’assemblée plénière de la Conférence. Ce midi,
des propos similaires ont été tenus lors d’une table ronde organisée en marge
de la Conférence par le groupe des travailleurs, sous la direction de Luc
Cortebeeck, président du groupe des travailleurs ici à Genève.
L’Europe est
méconnaissable, a affirmé Luc Cortebeeck
dans son introduction. L’Europe a longtemps été le phare du monde. Les
gouvernements et les partenaires sociaux du monde entier s’inspiraient du
modèle social européen, de la manière dont l’Europe réussissait à associer
progrès économique et avancées sociales. Aujourd’hui, le monde fronce les
sourcils quand il voit de quelle manière l’Europe est en conflit avec
elle-même. Il s’inquiète quand il voit
comment, sous le couvert de la gouvernance économique et de la discipline
budgétaire, les pays européens remettent en question la liberté syndicale, et
notamment le droit de grève, le droit aux négociations collectives libres, la sécurité sociale et la protection du
travail, parfois sous la contrainte ou les recommandations de la Commission
européenne. Il n’est pas normal, a ajouté Luc Cortebeeck, que nous devions
traiter ici de plus en plus de plaintes concernant des pays européens, en
particulier pour des infractions relatives aux Conventions 87 et 98 de l’OIT.
En même temps, ces plaintes prouvent l’importance du rôle de l’OIT en tant que
protecteur des droits fondamentaux des travailleurs et gardien de la dimension
sociale de la mondialisation.
Nous avons
ensuite entendu des témoignages des syndicats de Grèce et d’Espagne, deux des
pays les plus touchés. Zoe Lanara-Tzotze
du syndicat grec GSEE , Candido Mendez du syndicat espagnol UGT et Ignacio Toxo
du syndicat espagnol CC.OO ont ainsi
pris la parole. Ils avaient peu d’éléments
neufs à apporter, du moins pour ceux qui sont un peu au courant des
plans draconiens d’austérité et de réforme mis en place dans les pays du sud de
l’Europe. Ils ont surtout fait part de leur déception et de leur indignation.
Sur les coupes sombres dans les salaires minimums en Grèce. Sur la remise en
cause des conventions collectives. Sur la manière dont deux accords importants
conclus par les partenaires sociaux espagnols ont été balayés du revers de la
main par les autorités espagnoles car ils n’étaient pas conformes à la doctrine
de Merkel. Sur le chômage des jeunes qui atteint des niveaux
astronomiques : 52% des jeunes espagnols sont sans emploi! Sur la manière
dont les charlatans européens poussent ces deux pays plus loin encore vers le
naufrage. Sur la manière dont l’état d’urgence économique est décrété, mettant
ainsi la démocratie entre parenthèses, par la volonté des marchés financiers. A
ces sentiments s’ajoute aujourd’hui une grande indignation par rapport à
l’attitude des employeurs au sein de la Commission pour l’Application des
Normes, qui permet aussi aux pays européens de s’en sortir à bon compte ici à
Genève. Pour toutes ces raisons, nos collègues ressentent surtout de la colère,
de la frustration, de l’impuissance, qu’ils ont tenu à exprimer devant nous.
Face à nos
collègues du Sud, les organisateurs avaient placé Sud Wolfgang Luterbach , secrétaire
international de la confédération syndicale allemande DGB. Le DGB consacre actuellement l’essentiel de
son temps à démonter le mythe du miracle allemand. Luterbach s’est aussi
exprimé dans ce sens. 7,7 millions de travailleurs allemands occupent de petits
jobs précaires, soit un quart des travailleurs. Parmi les contrats qui sont
offerts actuellement, un sur deux est un contrat temporaire. Les jeunes n’ont
pratiquement plus de sécurité d’emploi.
Comment créer et entretenir une famille dans de telles circonstances ?
Bref, les travailleurs allemands sont aussi les victimes de la politique
d’austérité. Ils mènent les mêmes combats que les syndicats espagnols et grecs.
Ils se battent contre la précarisation, contre la dislocation de l’Etat
providence et contre les attaques portées aux libertés syndicales. De tels
propos ont été appréciés, ici à Genève.
Heureusement,
Bernadette Ségol, la secrétaire générale de la Confédération syndicale européenne
(CES) nous a mis un peu de baume au cœur. Elle venait de quitter le Comité
exécutif de la CES, qui avait donné à l’unanimité son approbation à une
alternative européenne face à la pagaille à laquelle nous faisons face :
le ‘nouveau contrat pour l’Europe’ (http://www.etuc.org/a/10027). Il
ne faut pas être un expert, a affirmé B. Ségol, pour voir que les recettes
actuelles ne fonctionnement pas. La politique menée est plus idéologique que
réfléchie. Les réformes du marché du travail en Grèce et en Espagne ont eu pour
seul effet de faire exploser le chômage. Certains gouvernements commencent à
ouvrir les yeux, avec pour conséquence qu’ils veulent maintenant manger à tous
les râteliers : investir en faveur de la croissance tout en poursuivant
une politique d’austérité stricte. Le contrat social est une réponse à ce
double défi. L’unité de vision des syndicats européens est un premier pas dans
la bonne direction. Il reste maintenant à développer une stratégie unique.
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