lundi 11 juin 2012

Trop peu … et trop tard …

Après une semaine et demi d’obstruction, les employeurs ont fait marche arrière. Ils refusaient de négocier à la Commission des Normes sur une liste de ‘cas’ (des infractions graves aux Conventions de l’OIT). Cette obstruction faisait suite au rapport de la commission d’experts indépendants sur les 8 conventions fondamentales du travail. La commission d’experts se compose de 17 juristes de réputation internationale (juges, professeurs d’université, …). Ces experts sont désignés par le Governing Body tripartite de l’OIT. Ils réalisent des analyses juridiques objectives sur la base d’informations obtenues au niveau tripartite. Dans leur rapport, appelé ‘Etude d’ensemble’, ils s’étaient risqués à donner une interprétation au droit de grève (en se référant à la Convention n°87 de l’OIT sur la liberté d’association). Cette interprétation est restée en travers de la gorge des employeurs. A la Commission des Normes, ils sont donc partis en croisade contre le rôle et le mandat des experts et contre leur interprétation du droit de grève. Les employeurs ont ainsi exigé que les travailleurs acceptent d’apposer un ‘disclaimer’ (avertissement) sur le rapport des experts. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils acceptaient de négocier une liste de cas particulièrement criants. Les employeurs exigeaient en outre que la liste ne contienne aucun cas de C87 en lien avec le droit de grève.


Les employeurs ont ainsi paralysé la Commission des Normes d’une manière totalement intolérable. Les travailleurs avaient dit dès le premier jour que les demandes des employeurs n’étaient pas acceptables. La Commission des Normes n’est pas habilitée à se prononcer sur la compétence des experts. Compte tenu de la structure tripartite de l’OIT, il n’est pas acceptable non plus que les employeurs et les travailleurs élaborent seuls un tel disclaimer. Sans compter que les employeurs posent cette exigence en échange d’une négociation sur une liste qu’ils se permettent en plus de censurer. C’est comme si l’on demandait à quelqu’un de commettre une infraction en échange de quelque chose que l’autre ne veut même pas. Les travailleurs ont lourdement protesté et ont posé des questions juridiques pertinentes sur l’opportunité des exigences patronales. Même les gouvernements ont compris que le comportement du banc patronal dépassait les bornes.

Jusqu’à mardi midi, les employeurs sont restés fermement sur leur position pour ensuite revoir leur jugement. Les contre-arguments étaient trop incontestables. Un employeur belge qui fait partie d’une autre commission de l’OIT (et n’avait pas encore rejoint la commission des normes) affirme que l’obstruction des employeurs fait suite au “double jeu” des syndicats. Comment cela pourrait-il être vrai ? Les travailleurs n’ont quand-même confié aucun mandat écrit à ces experts – neutres – concernant le droit de grève ! Les travailleurs n’ont pas non plus soufflé à ces experts (totalement indépendants) ce qu’ils devaient écrire ! Les gouvernements (de différentes couleurs politiques) – tous unanimes par ailleurs – ne vont quand même pas souscrire à l’analyse des travailleurs sans autre forme de procès ? A quel double jeu les employeurs font-ils allusion ?
Il est un fait que le droit de grève a été inscrit dans de très nombreuses législations nationales voire dans des traités internationaux. Maintenant que les experts ont réalisé une analyse approfondie et étayée, les employeurs vont revoir leur position. Reste à savoir qui joue ici un double jeu.

Il est dommage que les employeurs n’aient fait obstruction qu’après une semaine et demi.
Cette attitude a empêché d’aborder des cas extrêmement graves (Guatémala, Colombie, Fidji, Swaziland, etc.). Des syndicalistes et leur famille font l’objet d’intimidations et d’actes de violence ou sont assassinés.
Même le Directeur Général de l’OIT est aujourd’hui sorti de sa réserve, en séance plénière. Il n’accepte pas que l’on dénigre la bonne foi et l’engagement énergique du personnel de l’OIT. Les employeurs ont en effet affirmé que le personnel de l’OIT manquait d’impartialité.

Somavia n’accepte pas non plus que l’on s’en prenne aux experts. Ces personnes sont particulièrement intègres et prennent leurs décisions après avoir longuement pesé le pour et le contre. Il désapprouve fermement le fait que la commission des normes n’ait pu aborder aucun cas cette année.

Le porte-parole des employeurs a présenté de très timides excuses à la Conférence. Elles ne suffiront cependant pas à réparer les dégâts commis.  Les travailleurs ont été privés de leur droit de dénoncer et de discuter de violations graves.

Cette occasion manquée ne se représentera plus. Les regrets des employeurs sont arrivés trop tard. Too little, too late. Ce sont nos collègues du Guatemala, du Honduras, du Zimbabwe, etc. qui paient les pots cassés. Le double jeu des employeurs s’est retourné contre eux.

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